Le Crime de l’Euro Express
Yves de Kerdrel, Le Figaro, mardi 2 mars 2010
Chacun de nous a lu, un jour ou l’autre, le roman d’Agatha Christie dont le titre est : Le Crime de l’Orient-Express. L’enquête d’Hercule Poirot racontée dans cet ouvrage est très différente de toutes celles que la romancière britannique a décrites par ailleurs. Puisque ce crime-là est perpétré par une douzaine de personnes qui ont toutes une raison différente de vouloir mettre fin aux jours de la victime. [...]
Ce qui se passe actuellement en Grèce est bien le coup de grâce porté à la monnaie unique européenne. D’aucuns se demandent si la Grèce va s’en sortir. La question est plutôt de savoir ce qui restera de l’euro après cette crise. Sans doute la relique d’une superbe ambition construite à l’envers par des technocrates qui ont pensé – et qui pensent toujours – qu’une union monétaire pouvait exister sans union politique. [...]
Alors qui a tué cette monnaie unique que l’on nous présentait il y a une dizaine d’années comme le gage de la prospérité européenne ? D’abord, ceux qui étaient censés veiller à sa bonne utilisation par les Etats membres de la zone euro. [...]
Deuxième coupable : la Banque centrale européenne, qui a voulu faire de l’euro, non pas une monnaie au service des intérêts européens, mais un « pendant » du dollar, une sorte de devise de réserve. A une époque où la planète débordait de liquidités, et avec une politique de taux aberrante, l’euro est devenu pour les investisseurs une monnaie forte, très forte, trop forte, trop chère surtout. La BCE de Wim Duisenberg, puis de Jean-Claude Trichet, porte une responsabilité colossale dans la chronique de cette mort annoncée. Elle a mis l’Europe industrielle à genoux, et enrichi les rentiers. [...]
Troisième coupable : les Etats membres de la zone euro qui ont vite compris que cette monnaie, artificiellement forte, leur permettait de se livrer à toutes les incongruités budgétaires qu’ils voulaient. [...]
Quatrième coupable : les économistes qui se sont laissé envoûter par le mythe de la monnaie unique. Jusqu’à ce que la Grèce connaisse ses premiers ennuis, il n’était pas question de s’attaquer aux dogmes édictés à Francfort. Aujourd’hui les mêmes admettent qu’il faudrait « rapiécer le pacte de stabilité ». Or, il faut au moins deux ans pour bouger les lignes d’un traité. Et avant deux ans l’euro s’appellera de nouveau le mark !
Cinquième coupable : évidemment les géniteurs de cet euro qui l’ont conçu comme une monnaie défensive afin de se libérer du dollar et de se protéger eux-mêmes des fameuses dévaluations compétitives. Lorsqu’il n’était que colonel, le général de Gaulle avait jeté un jugement lapidaire, mais si juste, sur la ligne Maginot en déclarant : « A quoi sert une forteresse imprenable ? A être attaquée et à être prise. »
L’euro a été imaginé comme un socle pour l’Europe, alors que, comme l’avait montré Philippe Séguin, cette monnaie obligeait chaque pays à renoncer à sa politique économique. Donc à une part de son intégrité. La question est désormais de sortir de ce nœud de vipères, tant les dégâts sont déjà nombreux. [...]